C’était prévisible. Avoir 15 ans et demeurer si candide. Pauvre de petit « moi », puceau et naïf, aux bons parents catholiques si méfiants. Le mal ! Cette Pauline était « le mal » aux yeux de notre petit monde bien évangélisé. La fille à fuir. Une voisine —de la rue Drolet— hautement toxique.
Ma mère —bigote— sur son balcon crachait d’un jet discret, vers elle, sur le trottoir, quand elle passait devant notre porte cette Pauvre Pauline. C’était une grassette et « pas bien propre »— coureuse de garçons, —rumeurs et chuchotements—une trainée, une délurée, un misérable orpheline de mère. Jolie ? Oui mais si vulgaire et une pauvresse jeune travailleuse. Avec une sixième année d’école tout juste.
Une drôle de fille, quoi. Capable de blasphémer comme un gars ! De cracher par terre des sommets glaireux dégueulasses ! Plusieurs disaient « une vraie putain » en parlant de cette séduisante et accorte jolie jeune fille. « La beauté de satan » répétait mon pieux papa.
On en avait tous un peu peur. Des enfants, bien prêchés conte la guidoune, se signaient sur son passage —aux parfums forts. On disait tant de choses. Aucune crainte de Pauline évidemment chez nos pires voyous, ces chômeurs compulsifs, ces fainéants dopés, ces zazous qui flânaient sans cesse —cheveux longs, frétillants sans cesse le boogie-woogie cigarettes à la chaine et chewing gums— tous les soirs sous les marquises des cinémas du coin de ma rue.
Pauline vivait surtout dehors, dans nos rues commerciales, fuyant son mini appartement de la rue De Gaspé, avec soin grand sac à main d’un rouge aveuglant, aussi ses larges sourires à tous, ainsi que ses œillades exagérés, et même souvent ses vifs propos pire que suggestifs, bref, son cran d’audacieuse débauchée…
Si dissemblable, cette fille, des autres jeunes filles de son âge, de notre quartier. Si épeurantes pour les « propriétaires de garçons », les « momans » couveuses. Ces victimes probables — tous les bons petits gars, les beaux partis, de notre paroisse— se devaient de ne pas même regarder Pauline.
Redire : Un mot la résumait : une guidoune ! Un bon soir, j’ai osé lui tenir compagnie, adoptant son banc à elle, je me suis installé dans ce petit tertre fleuri près de l’église Madona Della Difesia, rue Henri-Julien. Calme, amusée sans doute de mon audace, Pauline tout sourire, m’a questionné, une vraie grande sœur, sur tout, mes études harassantes dans ce collège privé, mes beaux et grands plans d’avenir, d’avocat, de docteur, de notaire…. À la fin, tard, s’approchant —ses seins me frôlaient— elle m’a permis un baiser. « Attention hein, pas sur la bouche, sur une joue ! »
C’était mieux que rien. Ce baiser, hélas, ne dura pas longtemps.
Or, Pauline finit par bien comprendre ce qu’elle était devenue : un être à part et ce sera donc une certaine solitude. De là, des gestes de désespoir. Exemple : aller jusqu’à accepter un poste de servante au presbytère.
Quoi ? Comment ?
Oui. On l’a acceptée ? Oui. Les bons prêtres de Sainte-Cécile étaient bien à l’abri des listes des « bons et des méchants, enfermés dans cette sorte de manoir hors des humains ordinaires, ils igoraient qui était cette Pauline Dion. Ces châteaux-forts de chaque paroisse étant très imperméables aux potins courants. Et aussi aux réalités. Pauline se transforma vite, première étonnée, en petite mairesse de lieux… comme sacrés !
Quelle horreur, non ?
Le scandale des scandales. Pétition fut vite organisée, on le devine bien. Résultat ? Étonnant. Affreux. Imprévu ! Les bonnes âmes en perdirent leur curé ! Hen ? En effet, un tout nouveau couple fuyait : la Pauline et cet homme de Dieu, le curé. Encore jeune et beau, l’abbé Favre. Mais oui, la guidoune et un des hommes consacrés —sacerdotum in vitam eternam— s’en allèrent vivre ensemble. Très loin, en Californie !
Fin du scandale.
Longtemps après ça, un jour nos bons paroissiens apprenaient qu’un couple nouveau venait d’acheter la grosse maison du notaire mort, Poirier. Tout le monde vit alors, les cheveux dressés, les yeux exorbités…s’installer boulevard St-Denis confortablement, « elle ». Pauline. Vêtue de chic lingerie. Et lui, l’ex-abbé Favre. Dans un seyant et couteux costume bleu acier !
Bien pire : il y avait sur un petit tricycle, un petit garçon de joyeuse bille ! Et de magnifiques jumeaux, pas tassés du tout, dans une jolie voiture à pneus blancs. Imaginez les pipelettes. Imaginez les bobards ! Voilà donc que cette maudite et sale guidoune de Pauline Dion était parvenue au rang des « madames » bien nobles ! Qui a dit cela ? Qu’il n’y a pas de justice ?
Cependant, personne dans nos rues ne saluait ce cortège, celui du mauvais exemple. Nous apprenions bientôt que ce « diable en personne », était devenu un immonde « protestant ». Nos bigots rassurés, consolés, savaient ainsi qu’il n’irait donc jamais au ciel, puisque le cire;, on le savait bien à cette époque, était réservé aux vrais et aux bons catholiques-romains—universels… …mes bien chers frères….
bla bla bla !
fin